Raiponce 1
Il était une fois un mari et sa femme qui avaient depuis longtemps désiré avoir un enfant, quand enfin la femme fut dans l'espérance et pensa que le Bon Dieu avait bien voulu accomplir son voeu le plus cher. Sur le derrière de leur
maison, ils avaient une petite fenêtre qui donnait sur un magnifique jardin où poussaient les plantes et les fleurs les plus belles ; mais il était entouré d'un haut mur, et nul
n'osait s'aventurer à l'intérieur parce qu'il appartenait à
une sorcière douée d'un grand pouvoir et que tout le monde
craignait. Un jour donc que la femme se tenait à cette fenêtre
et admirait le jardin en dessous, elle vit un parterre planté de
superbes raiponces avec des rosettes de feuilles si vertes et si
luisantes, si fraîches et si appétissantes, que l'eau lui en
vint à la bouche et qu'elle rêva d'en manger une bonne salade.
Cette envie qu'elle en avait ne faisait que croître et grandir
de jour en jour ; mais comme elle savait aussi qu'elle ne
pourrait pas en avoir, elle tomba en mélancolie et commença à
dépérir, maigrissant et pâlissant toujours plus. En la voyant
si bas, son mari s'inquiéta et lui demanda :
Raiponce 2
- Mais que
t'arrive-t-il donc, ma chère femme ?
- Ah ! lui répondit-elle, je vais mourir si je ne peux pas
manger des raiponces du jardin de derrière chez nous !
Le mari aimait fort sa femme et pensa :
- Plutôt que de la
laisser mourir, je lui apporterai de ces raiponces, quoi qu'il
puisse m'en coûter !
Le jour même, après le crépuscule, il
escalada le mur du jardin de la sorcière, y prit en toute hâte
une, pleine main de raiponces qu'il rapporta à son épouse. La
femme s'en prépara immédiatement une salade, qu'elle mangea
avec une grande avidité. Mais c'était si bon et cela lui avait
tellement plu que le lendemain, au lieu que son envie fût
satisfaite, elle avait triplé. Et pour la calmer, il fallut
absolument que son mari retournât encore une fois dans le
jardin. Au crépuscule, donc, il fit comme la veille, mais quand
il sauta du mur dans le jardin, il se figea d'effroi car la
sorcière était devant lui !
Raiponce 3
- Quelle audace de t'introduire dans mon jardin comme un voleur,
lui dit-elle avec un regard furibond, et de venir me voler mes
raiponces ! Tu vas voir ce qu'il va t'en coûter !
- Oh ! supplia-t-il, ne voulez-vous pas user de clémence et
préférer miséricorde à justice ? Si Je l'ai fait, si je me
suis décidé à le faire, c'est que j'étais forcé : ma femme a
vu vos raiponces par notre petite fenêtre, et elle a été prise
d'une telle envie d'en manger qu'elle serait morte si elle n'en
avait pas eu.
La sorcière fit taire sa fureur et lui dit :
- Si c'est comme
tu le prétends, je veux bien te permettre d'emporter autant de
raiponces que tu voudras, mais à une condition : c'est que tu me
donnes l'enfant que ta femme va mettre au monde. Tout ira bien
pour lui et j'en prendrai soin comme une mère.
Le mari, dans sa terreur, accepta tout sans discuter. Et quelques
semaines plus tard, quand sa femme accoucha, la sorcière arriva
aussitôt, donna à l'enfant le nom de Raiponce et l'emporta avec
elle.
Raiponce 4
Raiponce était une fillette, et la plus belle qui fut sous le
soleil. Lorsqu'elle eut ses douze ans, la sorcière l'enferma
dans une tour qui se dressait, sans escalier ni porte, au milieu
d'une forêt. Et comme la tour n'avait pas d'autre ouverture
qu'une minuscule fenêtre tout en haut, quand la sorcière
voulait y entrer, elle appelait sous la fenêtre et criait :
Raiponce, Raiponce,
Descends-moi tes cheveux.
Raiponce avait de longs et merveilleux cheveux
qu'on eût dits de fils d'or. En entendant la voix de la
sorcière, elle défaisait sa coiffure, attachait le haut de ses
nattes à un crochet de la fenêtre et les laissait se dérouler
jusqu'en bas, à vingt aunes au-dessous, si bien que la sorcière
pouvait se hisser et entrer.
Raiponce 5
Quelques années plus tard, il advint qu'un fils de roi qui
chevauchait dans la forêt passa près de la tour et entendit un
chant si adorable qu'il s'arrêta pour écouter. C'était
Raiponce qui se distrayait de sa solitude en laissant filer sa
délicieuse voix. Le fils de roi, qui voulait monter vers elle,
chercha la porte de la tour et n'en trouva point. Il tourna bride
et rentra chez lui ; mais le chant l'avait si fort bouleversé et
ému dans son coeur, qu'il ne pouvait plus laisser passer un jour
sans chevaucher dans la forêt pour revenir à la tour et
écouter. Il était là, un jour, caché derrière un arbre,
quand il vit arriver une sorcière qu'il entendit appeler sous la
fenêtre :
Raiponce, Raiponce,
Descends-moi tes cheveux.
Raiponce 6
Alors Raiponce laissa se dérouler ses nattes
et la sorcière grimpa.
- Si c'est là l'escalier par lequel on
monte, je veux aussi tenter ma chance, se dit-il.
Et le
lendemain, quand il commença à faire sombre, il alla au pied de
la tour et appela :
Raiponce, Raiponce,
Descends-moi tes cheveux.
Les nattes se déroulèrent aussitôt et le
fils de roi monta. Sur le premier moment, Raiponce fut très
épouvantée en voyant qu'un homme était entré chez elle, un
homme comme elle n'en avait jamais vu ; mais il se mit à lui
parler gentiment et à lui raconter combien son coeur avait été
touché quand il l'avait entendue chanter, et qu'il n'avait plus
eu de repos tant qu'il ne l'eût vue en personne. Alors Raiponce
perdit son effroi, et quand il lui demanda si elle voulait de lui
comme mari, voyant qu'il était jeune et beau, elle pensa :
- Celui-ci m'aimera sûrement mieux que ma vieille mère-marraine,
la Taufpatin.
Et elle répondit qu'elle le voulait bien, en
mettant sa main dans la sienne. Elle ajouta aussitôt :
- Je voudrais bien partir avec toi, mais je ne saurais pas
comment descendre. Si tu viens, alors apporte-moi chaque fois un
cordon de soie : j'en ferai une échelle, et quand elle sera
finie, je descendrai et tu m'emporteras sur ton cheval.
Raiponce 7
Ils convinrent que d'ici là il viendrait la voir tous les soirs,
puisque pendant la journée venait la vieille. De tout cela, la
sorcière n'eût rien deviné si, un jour, Raiponce ne lui avait
dit :
- Dites-moi, mère-marraine, comment se fait-il que vous
soyez si lourde à monter, alors que le fils du roi, lui, est en
haut en un clin d'oeil ?
- Ah ! scélérate ! Qu'est-ce que j'entends ? s'exclama la
sorcière. Moi qui croyais t'avoir isolée du monde entier, et tu
m'as pourtant flouée !
Dans la fureur de sa colère, elle empoigna les beaux cheveux de
Raiponce et les serra dans sa main gauche en les tournant une
fois ou deux, attrapa des ciseaux de sa main droite et cric-crac,
les belles nattes tombaient par terre. Mais si impitoyable était
sa cruauté, qu'elle s'en alla déposer Raiponce dans une
solitude désertique, où elle l'abandonna à une existence
misérable et pleine de détresse.
Raiponce 8
Ce même jour encore, elle revint attacher solidement les nattes
au crochet de la fenêtre, et vers le soir, quand le fils de roi
arriva et appela :
Raiponce, Raiponce,
Descends-moi tes cheveux.
la sorcière laissa se dérouler les nattes
jusqu'en bas. Le fils de roi y monta, mais ce ne fut pas sa
bien-aimée Raiponce qu'il trouva en haut, c'était la vieille
sorcière qui le fixait d'un regard féroce et empoisonné.
- Ha, ha ! ricana-t-elle, tu viens chercher la dame de ton coeur,
mais le bel oiseau n'est plus au nid et il ne chante plus : le
chat l'a emporté, comme il va maintenant te crever les yeux.
Pour toi, Raiponce est perdue tu ne la verras jamais plus !
Déchiré de douleur et affolé de désespoir, le fils de roi
sauta par la fenêtre du haut de la tour : il ne se tua pas ;
mais s'il sauva sa vie, il perdit les yeux en tombant au milieu
des épines. Et il erra, désormais aveugle, dans la forêt, se
nourrissant de fruits sauvages et de racines, pleurant et se
lamentant sans cesse sur la perte de sa femme bien-aimée. Le
malheureux erra ainsi pendant quelques années, aveugle et
misérable, jusqu'au jour que ses pas tâtonnants l'amenèrent
dans la solitude où Raiponce vivait elle-même misérablement
avec les deux jumeaux qu'elle avait mis au monde : un garçon et
une fille. Il avait entendu une voix qu'il lui sembla connaître,
et tout en tâtonnant, il s'avança vers elle. Raiponce le
reconnut alors et lui sauta au cou en pleurant. Deux de ses
larmes ayant touché ses yeux, le fils de roi recouvra
complètement la vue, et il ramena sa bien-aimée dans son
royaume, où ils furent accueillis avec des transports de joie et
vécurent heureux désormais pendant de longues, longues années
de bonheur.
Conte
de Noël
Raiponce
Un conte de Grimm
J'ai ajouté des marques pour aider les enfants à se repérer dans le texte du conte. Quand vous voyez Raiponce écrit en vert, c'est pas Grimm c'est Claude... Claude |